Article 29.2.
Dans cet article intitulé le désir de domination: comprendre les enjeux psychologiques et relationnels, nous continuons à développer l’expérimentation de Milgram, les informations liées aux origines, aux conséquences et à la possibilité d’équilibrer les relations sociales.
Pour faire suite au premier article intitulé Le désir de domination : Définitions, voici les résultats de cette expérience de Milgram, selon l’ouvrage dirigé par P. Gosling, intitulé Psychologie sociale, Tome 1, L’individu et le groupe :
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Résultats.
En condition de feedback à distance, 65% des sujets donnaient le choc électrique maximal (450 volts), contre 62,5% dans la condition de feedback vocal, 40%dans la condition de proximité et 30% dans la condition de contact. L’intensité des chocs donnés était donc fonction de la proximité exécutant-victime.
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Variantes.
Ces 5 premières expériences ont eu plusieurs variantes. Lorsque l’expérience se déroulait dans des locaux bien moins prestigieux que ceux de l’université de Yale, la soumission ne différait pas.
Elle était par contre nulle ou plus faible lorsqu’un compère ordonnait au sujet d’infliger un choc à la victime en l’absence de l’expérimentateur, lorsque deux expérimentateurs donnaient aux sujets des ordres contradictoires et lorsque deux compères présents aux côtés du sujet se refusaient, après un certain laps de temps, à continuer.
Enfin, lorsque le rôle du sujet était de transmettre les ordres de l’expérimentateur à un compère devant donner les chocs, ils étaient 92% à ordonner le choc maximal. On notera, pour conclure, qu’une autre expérience montre qu’il n’existe pas de différences homme/femme dans la soumission.
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Interprétations.
L’interprétation avancée par Milgram est que le sujet se place dans un « état agentique ». Il se considère comme l’instrument d’une volonté institutionnelle et souveraine dont les buts le dépassent. Ce faisant, aucune des responsabilités dont il jugerait qu’elles lui incombent s’il était le seul initiateur de ses actes ne semble peser sur lui, l’institution prenant à sa charge les torts qu’il pourrait causer à autrui.
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Implications.
Ces travaux sont riches d’enseignements.
Tout d’abord, ils montrent, ou nous rappellent, que la soumission à l’autorité est un phénomène transversal aux individus, aux cultures et à l’histoire des hommes. Les horreurs nazies, que l’on attribuait encore à la culture de l’ordre et de la soumission du peuple allemand, trouvaient un écho quelques années plus tard, en temps de paix, dans un pays démocratique, de culture individualiste et chez des gens pour lesquels le souvenir de l’holocauste commençait à peine à subir l’érosion des vingt années qui venaient de s’écouler.
Ils ont conduit les chercheurs en psychologie à redéfinir leur rôle. Le chercheur dans les sciences humaines en particulier, n’est pas seulement celui qui questionne ou celui qui demande au sujet, simplement à des fins de connaissance, d’effectuer « une tâche ». Il est le représentant d’une institution le plus souvent respectée et incontestée. De par son statut, de par son rôle social et les représentations dont il est le centre, il possède une autorité et une emprise sur le sujet.
En cela au moins, il n’est pas si différent d’un chef militaire ou d’un patron d’entreprise. Autrement dit, le chercheur est un élément à part entière de la situation dans laquelle il place et étudie le sujet. Sa présence à aux côtés du sujet peut, de manière générale, être une source de biais.
Enfin, ils posent une question d’ordre éthique. Il s’agit de savoir si les idées, croyances ou représentations que le chercheur a, en quelque sorte, injectées dans l’esprit du sujet ont le pouvoir de modifier à moyen ou à long terme sa représentation du monde et ses relations avec autrui.
Ce problème trouve une solution satisfaisante dans la pratique très largement répandue du débriefing. Il s’agit de consacrer quelques minutes, en fin d’expérimentation, à expliquer aux sujets les buts réels de la recherche et à dévoiler le caractère fictif ou aléatoire des éléments de la situation vécue par le sujet. Il va sans dire que Milgram a effectué ce travail. Les sujets ayant participé à ses recherches ont pu ainsi prendre conscience de la facilité avec laquelle ils s’étaient soumis à une autorité. »
Après l’exploration et surtout la définition de tous les termes liés à cette thématique d’un point de vue psychologique et psychanalytique dans l’article 29.1. intitulé Le désir de domination : Définitions, illustré par l’expérience très connue de Milgram, voici une suite indispensable à la compréhension de ce désir de domination. Son application est portée à l’existence des sectes.
Qu’est-ce que le Désir de Domination ?
Le désir de domination est une inclination à vouloir contrôler ou exercer une influence sur les autres, souvent pour affirmer son propre pouvoir, sa valeur ou sa supériorité. Ce désir peut se manifester de manière subtile ou flagrante, allant de l’envie d’être écouté et respecté dans une discussion, à la volonté de contrôler les pensées, les comportements ou les choix d’autrui.
Les Différents Aspects du Désir de Domination.
Le désir de domination peut se manifester dans différents contextes et prendre des formes variées :
- Domination Relationnelle : Dans les relations personnelles, qu’elles soient amicales, amoureuses ou familiales, ce désir se traduit par le besoin de contrôler les interactions, les décisions ou les comportements de l’autre. Cela peut inclure des formes subtiles de manipulation ou des comportements plus coercitifs.
- Domination Professionnelle : Au travail, le désir de domination peut se manifester par une volonté de contrôler ses collègues, de s’imposer comme leader ou de monopoliser les décisions importantes. Cela peut créer un environnement toxique, marqué par la compétition et le manque de collaboration.
- Domination Sociale : Dans un contexte social plus large, ce désir peut conduire à une quête de pouvoir, de statut ou de reconnaissance, parfois au détriment des autres. Cela peut inclure des comportements autoritaires ou des tentatives d’imposer ses propres normes ou valeurs aux autres.
Les Origines du Désir de Domination.
Comprendre les racines du désir de domination nécessite d’explorer plusieurs dimensions psychologiques et développementales :
- Attachement et Estime de Soi : Les personnes qui ont développé un attachement insécurisé ou qui souffrent d’une faible estime de soi peuvent chercher à compenser leur insécurité par la domination. En exerçant un contrôle sur les autres, elles peuvent tenter de renforcer leur sentiment de valeur personnelle ou de sécurité.
- Traumatismes et Expériences Passées : Les expériences de vie, en particulier celles impliquant des situations de vulnérabilité ou de perte de contrôle (comme des abus ou des traumatismes), peuvent engendrer un besoin compulsif de dominer pour éviter de revivre ces sentiments d’impuissance.
- Modèles Culturels et Sociaux : La culture et la société jouent également un rôle important dans le développement du désir de domination. Dans certaines cultures, la domination est valorisée comme un signe de succès ou de puissance, ce qui peut encourager les individus à adopter des comportements dominateurs pour se conformer à ces normes.
- Facteurs Biologiques : Les recherches en neuropsychologie montrent que certains traits biologiques ou génétiques peuvent prédisposer les individus à des comportements plus dominants. Les niveaux de testostérone, par exemple, ont été associés à une plus grande propension à la compétition et à la domination.
Les Conséquences du Désir de Domination.
Bien que le désir de domination puisse parfois conduire à des succès à court terme, il a souvent des conséquences négatives à long terme pour les individus et leurs relations :
- Isolement et Solitude : Les personnes qui cherchent constamment à dominer peuvent finir par s’isoler. Leurs comportements peuvent éloigner les autres, créant des relations superficielles basées sur la peur ou la soumission plutôt que sur la confiance et l’affection.
- Conflits Relationnels : Les relations fondées sur la domination sont souvent marquées par des conflits, des luttes de pouvoir et des ressentiments. Cela peut entraîner des ruptures relationnelles, des tensions familiales, ou des environnements de travail dysfonctionnels.
- Stress et Burnout : Le désir de domination peut conduire à un stress chronique, à une hypervigilance, et à un sentiment constant de menace ou de compétition. À long terme, cela peut entraîner un épuisement mental et physique, affectant la santé globale de l’individu.
- Impact sur la Santé Mentale : Les comportements dominateurs sont souvent associés à des troubles de la personnalité, comme le narcissisme ou le trouble obsessionnel-compulsif, qui nécessitent un accompagnement psychologique pour être gérés efficacement.
Comment Gérer et Rééquilibrer le Désir de Domination ?
Il est possible de gérer et de rééquilibrer un désir de domination excessif en adoptant plusieurs approches :
- Développement de l’Introspection : La première étape pour gérer ce désir est de développer une conscience de soi et de ses comportements. Cela implique d’identifier les situations où le besoin de dominer se manifeste et de comprendre les émotions et les pensées qui y sont associées.
- Renforcement de l’Estime de Soi : Travailler sur l’estime de soi est essentiel pour réduire la nécessité de domination. Cela peut inclure la reconnaissance de ses propres valeurs et capacités, indépendamment de la validation ou du contrôle des autres.
- Apprentissage de la Communication Non-violente : La communication non-violente permet de s’exprimer et d’interagir avec les autres sans chercher à les dominer. Elle favorise l’écoute active, l’empathie, et la résolution collaborative des conflits.
- Thérapie Psychologique : Dans les cas où le désir de domination est lié à des troubles de la personnalité ou à des traumatismes passés, une thérapie avec une docteur en psychologie peut aider à traiter les causes sous-jacentes. Les approches thérapeutiques comme l’hypnothérapie ou l’EMDR peuvent être particulièrement efficaces.
- Pratique de l’Auto-compassion : Cultiver l’auto-compassion aide à réduire l’autocritique et le besoin de compenser ses insécurités par la domination. Cela implique de se traiter avec la même bienveillance et compréhension que l’on offrirait à un ami. Je reste disponible pour vous accompagner dans ce sens.
- Promotion de Relations Égalitaires : Il est crucial de développer et de maintenir des relations fondées sur l’égalité, le respect mutuel, et la coopération. Cela signifie reconnaître et respecter les besoins, les limites, et l’autonomie des autres.
Application de la soumission à l’autorité, qui permet l’exercice de ce désir de domination : Les sectes.
Selon l’ouvrage dirigé par P. Gosling, intitulé Psychologie sociale, Tome 1, L’individu et le groupe, « la soumission à l’autorité résulte d’une pression sociale explicite à laquelle le sujet se doit d’obéir.
L’obéissance représente une forme de conformité due à une autorité reconnue comme légitime.
Cette autorité légitime, un individu peut l’acquérir lorsqu’il possède une « position hiérarchique ou une compétence reconnue à l’intérieur d’une organisation » et que les personnes qui font partie de cette organisation se conforment « aux normes édictées » et obéissent aux ordres sans avoir subi de violence, « avec le seul système de sanctions positives ou négatives prévues par l’organisation » (Enriquez, 1994).
A l’intérieur des sectes, les « gourous » font preuve d’une autorité dite charismatique telle qu’elle est définie par Max Weber (1965). « Elle est fondée sur les qualités exceptionnelles du chef, que celles-ci soient réelles ou prétendues. Ce qui amène les subordonnés à obéir au chef, ce qui légitime son autorité, c’est leur croyance en ses dons exceptionnels… » (Aebischer & Oberlé, 1990).
Le gourou fait d’ailleurs preuve d’un don personnel de persuasion, ce don de convaincre insufflant ainsi la confiance aveugle. Étant convaincu d’être investi d’une mission et proposant un projet collectif pour le bien de la communauté, faisant preuve d’engagement dans la tâche commune et décuplant d’énergie pour parvenir au but escompté, le gourou parvient à subjuguer son entourage.
Ainsi, comme le montre, entre autres, l’expérience de Milgram (dans le précédent article 29.1 sur le désir de domination) ou encore celle de Zimbardo (Haney, Banks & Zimbardo, 1973), un individu, dans un contexte où il se trouve face à ce type d’autorité ou de tout autre type à partir du moment où cette autorité est considérée comme légitime, cet individu passe d’un état d’autonomie (où il est maître de ses actions) à un état « agentique », état dans lequel, se pliant aux exigences de l’autorité, il n’est plus qu’un exécutant, déresponsabilisé de ses actes.
Il peut être ainsi amené à commettre des actes contraires à ses opinions personnelles, à sa « morale », ce jusqu’à la violence, voire mort d’homme, se considérant comme l’agent exécutif d’une volonté qui transcende.
Bion (1965) décèle trois états effectifs différents qui se développent dans un groupe et qui s’adaptent entièrement aux adeptes des sectes.
-La dépendance.
Quand les membres d’un groupe fonctionnent sur ce mode, ils se conduisent comme s’ils attendaient du leader suggestions, idées, sécurité, au fond comme si celui-ci était seul capable de satisfaire les besoins du groupe, à la façon d’un sorcier ou d’un démiurge aux pouvoirs plus ou moins magiques.
-L’attaque fuite.
Dans ce schéma à tonalité persécutive, les individus du groupe se conduisent comme s’ils étaient menacés par un danger qu’il faut attaquer ou fuir. Le leader dans ce cadre est celui qui attise leur haine et leur colère et qui fournit un ennemi ou un traître contre qui lutter.
-Le couplage.
Dans ce cas, l’attention du groupe semble tournée vers une événement à venir, heureux, capable de transformer le groupe ; celui-ci, comme en attente, est aussi plein d’espoir messianique, tendu vers ce qui peut sauver le groupe, nouveau leader, idée ou utopie encore à venir et à construire. » (Aebischer & Oberlé, 1990).
Conclusion.
Le désir de domination est une force complexe qui, bien que parfois motivée par des besoins profonds de sécurité ou de reconnaissance, peut avoir des effets néfastes sur les individus et leurs relations. En reconnaissant les racines psychologiques de ce désir et en adoptant des stratégies pour le gérer, il est possible de créer des relations plus équilibrées et de mener une vie plus épanouie. Si ce désir devient problématique, il est important de ne pas hésiter à chercher un soutien psychologique pour explorer et traiter ces dynamiques.
Mots-clés : désir de domination, psychologie du pouvoir, relations toxiques, estime de soi, gestion des comportements dominateurs, thérapie pour domination.
Cet article vise à fournir une compréhension approfondie du désir de domination, en offrant des outils pour ceux qui souhaitent le gérer ou comprendre son impact sur leurs relations.
Un troisième article intitulé Le désir de domination: exemples est également disponible sur ce site, afin d’illustrer ces données.
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